Interview de Roland Kaloyan Head of European Equity Strategy chez Société Générale
Roland Kaloyan, Head of European Equity Strategy chez Société Générale
🗸 Pouvez-vous nous faire un panorama du niveau de cash dans les entreprises ?
Le niveau de trésorerie détenu par les entreprises a considérablement augmenté en 2020 en raison de la pandémie et de l’entrée en lockdown des économies. La gestion de la trésorerie est devenue une priorité pour de nombreuses entreprises, qui ont renforcé leurs réserves en réduisant les coûts, en supprimant les dividendes et en reportant les rachats d’actions, dans certains cas à la demande des régulateurs. Cela a entraîné une diminution de la dette nette en 2020 et une légère baisse progressive depuis, malgré la hausse des bénéfices et des prix des actifs.
En Europe, le ratio de dette nette/EBITDA de l’indice MSCI Europe (hors valeurs financières et automobiles) a atteint un niveau historiquement bas de 1,2x en 2023, contre 1,5x en 2022 et 2,0x juste un an auparavant, ce qui correspond aux niveaux observés en 2006-07. Bien que le ratio ait légèrement augmenté au début de 2024, il reste inférieur à celui de la période pré-COVID et témoigne d’une situation financière globale solide des entreprises. En outre, les niveaux de dette totale sont restés inchangés en Europe depuis avant la pandémie, tandis que les liquidités ont considérablement augmenté. Les liquidités détenues sur les bilans sont actuellement élevées par rapport aux normes historiques, représentant 41 % de la dette totale et 9,7 % des actifs totaux. Cela montre que les entreprises disposent de réserves de trésorerie importantes et d’une situation financière solide.
🗸 Comment les entreprises utilisent leur cash ?
La transition énergétique, la numérisation de l’économie et le développement de l’intelligence artificielle, ainsi que la relocalisation, devraient soutenir les investissements des entreprises à moyen terme. Toutefois, la crainte d’une éventuelle récession a incité les entreprises à adopter une approche prudente au cours des deux dernières années. Bien que le ratio des dépenses d’investissement (capex) par rapport aux revenus soit en hausse et soit revenu aux niveaux d’avant la crise de COVID-19, cela est principalement dû à une croissance plus lente des revenus plutôt qu’à une accélération des dépenses d’investissement. Les entreprises peuvent également investir en réalisant des fusions et acquisitions. En 2023, les entreprises européennes ont réalisé près de 4 000 opérations de fusion-acquisition, pour une valeur totale de 242 milliards d’euros, ce qui représente le niveau le plus bas depuis la crise de la zone euro en termes de nombre d’opérations et de montant.
Une autre manière d’utiliser leur trésorerie est de la redistribuer aux actionnaires, soit en versant des dividendes, soit en rachetant des actions. Le retour total aux actionnaires (rendement des rachats d’actions + rendement des dividendes) en Europe en d’environ 5%. A l’inverse des entreprises américaines, les entreprises européennes ont tendance à privilégier les dividendes. L’année dernière, les entreprises européennes ont consacré 68 % de leur trésorerie au paiement des dividendes et 32 % au rachat d’actions, ce qui était supérieur à la tendance historique. Selon les données Bloomberg, les entreprises du STOXX 600 ont racheté pour environ 225 milliards de dollars d’actions en 2023, soit presque quatre fois moins que les entreprises du S&P500. Le fait que les entreprises européennes favorisent les rachats d’actions plutôt que d’augmenter les dividendes peut également être interprété comme un signe de prudence de la part des dirigeants d’entreprises.
🗸 Selon-vous la baisse des taux va-t-elle influer sur le niveau de cash des entreprises et leur utilisation ?
Une baisse des taux d’intérêt peut être motivée par une désinflation dans un contexte de ralentissement économique modéré (« soft landing ») ou par la crainte d’une récession. Dans le premier cas, une baisse des taux peut stimuler les investissements en rendant certains projets financièrement attrayants grâce à la baisse des taux. En revanche, si la baisse des taux est accompagnée d’une inquiétude quant à la situation économique, les entreprises resteront prudentes en se concentrant sur leur trésorerie et la solidité de leurs bilans. Il est intéressant de noter que, malgré la hausse des taux, les récents sondages n’ont pas montré que le financement constituait un frein à la production. Enfin, il convient de souligner que les entreprises ayant des niveaux de trésorerie élevés bénéficient généralement de taux d’intérêt plus élevés, car elles peuvent tirer parti de taux d’intérêt plus rémunérateurs pour leurs excédents de trésorerie. En revanche, avec une baisse des taux d’intérêt, les avantages financiers pour ces entreprises peuvent être moindres, car les taux d’intérêt plus faibles réduisent les rendements sur leur trésorerie excédentaire.